mécanismes de délinquance criminelle / extrait

 

Névroses ou perversions de caractères ?

     Statistiquement on trouve surtout des nerveux parmi les sujets poursuivis pour vol, des colériques parmi ceux qui ont commis des coups et blessures volontaires, des apathiques parmi les criminels sexuels. Le caractère nerveux représentait 31,5 % de l’ensemble des délinquants ou criminels de la prison du Val de Loire. Les apathiques représentent 22,5 %, les colériques et les amorphes 16 %. Enfin tous les délinquants criminels qu’il soient adultes ou mineurs présentent une frusticité morale, c’est-à-dire une absence de moralité très nette associée à une frusticité intellectuelle. L’atrophie de la fonction morale semble en rapport avec l’atrophie de la fonction intellectuelle.

     Les différents travaux des criminologues montrent l’influence incontestable de causes très complexes qui conduisent à la délinquance et à la criminalité. Mais tous les enfants nés de familles désunies ne seront pas tous délinquants, et des enfants élevés dans de très bonnes conditions pourraient par contre le devenir. Notons aussi que tous les enfants moyennement intelligents ne sont bien entendu pas tous de futurs criminels ou délinquants. Tous ces facteurs individuels pourront conditionner la délinquance mais ne la détermineront pas d’une façon inéluctable.

     La psychanalyse considère que la tendance à la délinquance doit être étudiée en fonction des déviations de la libido, dans le sens « énergie vitale » du terme. Soit cette déviation s’exprime sous la forme de symptômes névrotiques, soit elle prendra la forme d’actes antisociaux et agressifs. Le passage à l’acte trouverait son impulsion dans une déviation de cette énergie vitale. Nous reviendrons sur cette notion. Dès lors, l’individu est incapable de s’adapter à une vie individuelle ou sociale normale. Mais pourquoi cette énergie vitale se manifesterait par des actes anti sociaux et dans d’autres cas par des névroses et des troubles fonctionnels ?

     En réalité, nous aurions tous une prédisposition à devenir potentiellement soit « pervers » soit « névrosé ». Suivant nos prédispositions congénitales, en fonction de notre mode de vie de notre environnement et de notre éducation.  

 

La fonction de la moralité dans l’acte pervers du délinquant

     Pour Gemelli (« La tendance gangster », dans « Actes du Congrès international de criminologie » 3-8 Octobre 1938. Rome, Mantellate Typographie), « Le crime est une action accomplie par un homme dont la volonté s’est orientée vers la direction d’un intérêt immoral ou antisocial tandis que l’action d’inhibition des raisons individuelles et sociales n’a pas été efficace ». La capacité morale est la faculté de faire la nuance entre le bien et le mal. Elle accorde la moralité à la façon dont on se conduit en société.

     Être moral ou non dépendra principalement des deux facteurs suivants : un facteur individuel (biologique et psychologique), et un facteur mésologique (conditions d’existence, qualité de la famille, éducation). Cette première thèse vient accréditer l’analyse de René RESTEN dans le sens où le manque de moralité serait la condition de la mise en place du passage à l’acte « antisocial ».  L’influence de la capacité morale sur la dynamique criminelle a été étudié également par Olof Kinberg (« Les problèmes fondamentaux de la criminologie » Revue internationale de droit comparé. 1963). Il considère que la fonction morale n’est pas innée c’est une habitude acquise lentement par des influences ambiantes sur la structure biologique du cerveau. Kinberg insiste particulièrement sur l’indigence ou la misère culturelle qui a pour conséquence de baisser considérablement la capacité morale. Il considère en outre qu’on peut établir un parallélisme entre la fonction morale et l’émotivité puisque la moralité participe à la vie émotionnelle : « Plus l’émotivité d’un sujet est faible plus restreinte se trouve sa fonction morale » affirme-t ’il. Ce qui expliquerait, selon René Resten, que les amorphes et les apathiques soient également assez représentés en caractérologie criminelle, étant tous les deux non émotifs. Mais n’oublions pas que leur dénominateur commun est aussi l’absence totale d’activité et en cela ils forment avec les nerveux les moins actifs de tous les caractères.

     La fonction morale des délinquants peut présenter des défaillances épisodiques sous l’influence de l’alcool ou des drogues. Mais elle peut également être défaillante chaque fois que la cellule cérébrale de la personne a été touchée soit par un traumatisme soit par une malformation congénitale. René Resten considère que la capacité morale d’un individu n’est pas forcément liée à ces deux facteurs mais qu’il s’agirait « d’une déviation qui résulte de la déviation générale de l’énergétique psychique ». Un trop-plein d’énergie pourrait être capable de s’épuiser dans des conduites antisociales ou agressives ne pouvant s’exprimer sous une forme admise par la société et les codes de bonne conduite.

     Wilhelm Reich (« The mass Psychologie of facism » Farrar, Straus and Giroux Inc.,1970) reprenant les théories freudiennes sur la puissance libidinale est persuadé que l’énergie psychique est « le moteur central de la vie de l’âme. Selon lui, préalables biologiques et conditions sociales se rencontrent donc dans le domaine psychique. Une des grandes découvertes de Freud sur la relation parent-enfant fut de considérer que la sexualité refoulée par l’enfant prend toute son ampleur quand l’enfant craint ou est puni pour des actes et des pensées sexuels (l’angoisse de castration). Ainsi la sexualité se trouve coupée de l’action et effacée de la mémoire. Le refoulement de la sexualité infantile soustrait celle-ci au contrôle de la conscience sans lui enlever son énergie. Au contraire il la renforce et l’infléchit de telle manière qu’elle se manifeste dans plusieurs troubles pathologiques de la vie de l’âme, donc de la conscience morale.

     La conscience morale est le résultat de mesures pédagogiques que les parents prennent à l’égard de leurs enfants dès leur petite enfance. Le conflit qui, au début, oppose les désirs de l’enfant aux interdictions des parents, se prolonge par la suite dans le conflit intérieur à la personne entre les pulsions et la morale. En tout état de cause si le conflit reste limité à l’individu il engendrera potentiellement une névrose, mais s’il le dresse contre la société et conditionne une attitude agressive il suppose deux forces en opposition. Mais n’est-ce pas également le cas d’une névrose lorsqu’on doit se battre contre une force extérieure finalement indépendante de notre volonté ?

     Wilhelm Reich considère que « les idéologies réactionnaires sont l’aboutissement de processus psychiques secondaires dont est l’objet le petit enfant grandissant en milieu familial autoritaire ». Pour lui la concurrence entre enfants et adultes serait lourde de conséquences pour certains enfants, mais plus lourdes encore seraient les conséquences de la concurrence des enfants d’une même famille par rapport à leurs parents. Elles se manifestent dès l’enfance par des sentiments d’amour et de haine. Effectivement, on peut vérifier cette théorie quand on observe au milieu d’une famille un enfant trop émotif que l’on aurait nommé jadis « caractériel », et qui devient « l’éponge émotionnelle » de la famille. Cela est d’autant plus vrai quand celui-ci se trouve au milieu de la fratrie, toutes les difficultés sont alors là pour qu’il aille chercher, parfois en vain, sa place au milieu de ses frères et sœurs.

 

Mais comment parvient-on à devenir délinquant ou criminel ?

     Nous avons vu qu’un certain nombre de conditions devaient être réunies. La condition principale étant la baisse du mécanisme moral. Il n’existe pas de facteurs isolés ; c’est sous l’effet de plusieurs facteurs que la dynamique du délinquant ou du criminel s’installe.

     Tout d’abord le mobile doit être motivé. Pour un homicide par exemple les raisons vont être tantôt passionnelles, tantôt liées à de la vengeance, de la peur ou de l’idéologie raciale. Le vol peut être lié par exemple à des conditions sociales très défavorables. Il faut bien sûr rechercher dans l’inconscient certains motifs criminologiques alors qu’en apparence les motivations pourraient paraître simplistes. La prédisposition caractérologique est le deuxième facteur, tout en sachant que les prédispositions sont liées au caractère intrinsèque ; nous avons vu tout à l’heure quels étaient les caractères concernés et nous allons bientôt revenir sur ce point.

     Notons que les actes de délinquance peuvent être commis de façon totalement opportune. L’influence de certains chefs de bande de caractère fort (colérique) peut être l’occasion pour d’autres de suivre le mouvement (apathique, nerveux ou amorphe). Plus de la moitié des délinquants de la prison du Val de Loire ont agi en groupe avec d’autres camarades. Comme l’indique René Resten : « Le schéma se retrouve toujours le même : un chef de bande et des complices passifs soumis à une surveillance inexistante ou très superficielle des parents ». À cela vont se rajouter des facteurs comme le fait d’être sous l’emprise de stupéfiants ou d’un taux d’alcoolémie fort ; l’ivresse représente parmi les conditions préparatoires à l’activité criminelle une condition extrêmement importante.

     René RESTEN y voit aussi d’autres facteurs ; Les conditions sociologiques pourrait être le principal facteur si nous prenons pour exemple que « pendant la période d’occupation en France 45000 dossiers de criminalité infantile étaient instruits, contre 15000 en 1956. Les conditions de vie, l’absence du père parti à la guerre, l’incertitude face à l’avenir étant les facteurs sociologiques privilégiés par le criminologue ». Les conditions sociologiques et économiques de nombreux pays aujourd’hui peuvent être comparables à ce schéma et ont, bien entendu, des conséquences en matière de criminologie sur les populations mineures et adultes.

     L’insatisfaction dans le monde du travail entrainerait des actes de délinquance en rapport avec l’esprit de vengeance de certains face à un patron peu scrupuleux ou pervers (vols). Les conditions de travail en elle-même seraient à l’origine de la diminution des possibilités d’inhibition de certaines pulsions anti-sociales ou agressives (produits toxiques, bruit, travail de nuit, horaires irréguliers, lumière artificielle…). Toujours sur le plan du travail, il faut insister sur le fait que les conditions de travail jouent un rôle essentiel dans notre équilibre ; Il est rare aujourd’hui que les conditions permettent le plein épanouissement de notre personnalité. Si vous ne trouvez pas un travail ou la place que vous auriez souhaité occuper dans le monde actif, le risque est de glisser vers une situation psychologique inconfortable, au mieux névrosée (stress, dépression…) et, au pire, criminelle. Il faut ajouter enfin la perte de certaines valeurs sociétales, la violence omniprésente, l’absence de patriotisme, le chômage, l’influence des réseaux sociaux, du cinéma, des causes culturelles aussi diverses que variées qui peuvent expliquer l’origine des actes de délinquance.  

 

 (...) Le mécanisme nerveux : impulsivité et violence

     C’est celui que nous rencontrons le plus souvent dans la population carcérale. Il concerne plus d’un tiers des agressions contre les biens, un tiers des violences volontaires, et un tiers des affaires de mœurs. L’émotivité rend la personne sujette aux influences de l’environnement et augmente l’intensité de ses émotions intérieures.

     L’inactivité entraîne l’inhibition de la maîtrise de soi et rend la personne esclave des stimuli internes et externes. La primarité prive la personne de la notion des conséquences éloignées que pourraient avoir ses actes et l’incite à une réponse immédiate à ses sollicitations du moment. Le mécanisme nerveux est donc une source intrinsèque d’un comportement dangereux. Il favorise l’expressivité de certaines tendances comme la sexualité ou les intérêts sensoriels. Il entraîne la recherche du besoin d’émotions, l’instabilité affective, les difficultés d’insertion familiale et sociales ainsi que les difficultés de s’insérer sur un plan professionnel. Nous avons vu aussi que les nerveux étaient les plus prédisposés aux excès d’alcool et de stupéfiants. Enfin, le manque de résistance à l’effort lié à l’inactivité contribue à engendrer une situation dangereuse donnant lieu à des activités antisociales et parfois très agressives.

     R Le Senne en est persuadé : « Dans la vie objective sur laquelle s’exerce l’action c’est‑à‑dire dans la perception, le mal stimulant est une destruction, l’amour du mal stimulant la volonté de détruire ; L’impuissance propre à l’inactif se convertit indirectement en puis­sance imaginairement perverse, existentiellement stimulante ».  Selon lui le mécanisme nerveux déclenche le goût de l’horrible, du cruel, les besoins de vengeance et le goût du défendu (...)

Le mécanisme sentimental : passion et jalousie

     En général les sentimentaux sont peu sujets à la délinquance et à la criminalité. La secondarité va inhiber les pulsions agressives. Or, les agressions dirigées contre les biens ou les personnes sont, elles, des réactions impulsives, donc de forme primaire. Elles sont liées à une émotion ou à un désir immédiat. Le sentimental est donc freiné dans l’expressivité de ses émotions grâce à sa secondarité. Elle dresse devant lui les perspectives très éloignées de sa conduite. Il sera donc hésitant, vulnérable, et s’engagera difficilement sur une voie antisociale ou agressive car il en verra tout de suite les conséquences. Par contre, ses émotions pourront être concentrées sur un thème passionnel à base de rancune ou de jalousie ; c’est en cela qu’il pourra avoir des réactions inexplicables et insolites, la plupart du temps dirigées contre des personnes. Après avoir dû supporter un événement pendant des mois ou des années, le sentimental pourrait commettre un attentat sexuel ou un drame familial, puis, éventuellement, se suicider par la suite pour des problèmes de conscience morale.

     La résignation présomptive est à l’origine d’un type classé de suicide, celui des personnes qui, non seulement se tuent, mais entraînent leur femme et leurs enfants dans la mort pour éviter et leur éviter la misère ou un péril. Par exemple, l’affaire Dupont de Ligonnès, appelée aussi la « tuerie de Nantes », est un quintuple meurtre non élucidé en France. Cinq membres de la famille Dupont de Ligonnès, la mère et ses quatre enfants sont assassinés entre le 3 et le 6 avril 2011 ; leurs corps sont retrouvés le 21 avril 2011, dans leur maison nantaise. Le père, Xavier de Ligonnès, est suspecté des assassinats des membres de sa famille mais porté disparu. (...)

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